Tribune collective : Diriger dans l’incertitude du réel

L’autorité, écrivait Hannah Arendt, est ce qui permet d’agir sans violence. Aujourd’hui, elle est aussi ce qui permet d’agir sans certitude. 

Le 4 juillet, pour la première fois en vingt-cinq éditions des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, une quarantaine de femmes dirigeantes issues des sphères économiques, publiques et entrepreneuriales se sont réunies à l’initiative du think tank Nemow Lab, pour une conversation stratégique autour d’une question vive: comment dirige-t-on aujourd’hui, quand le réel ne se laisse plus anticiper ?

Nous n’avons pas simplement changé d’époque. Nous avons changé de matière.

C’est un fait, la matière première de l’action est devenue de plus en plus instable, mouvante et parfois contradictoire.

L’explosion des données et des signaux faibles, la volatilité géopolitique, l’essor foudroyant de l’IA générative, l’imbrication des crises climatique, sociale et économique, tout cela produit un changement de densité du réel qui se démultiplie. Selon une étude d’Accenture publiée en 2021, 45 % des dirigeants estiment ainsi que leur modèle économique actuel ne sera plus viable d’ici 2030.

Diriger ce n’est plus anticiper, c’est improviser avec rigueur.

Dans ce nouvel environnement, il s’agit de maintenir une direction quand les repères glissent. Loin d’un management de certitudes, il s’agit désormais de faire tenir des décisions dans l’ambiguïté. Ce basculement est éclairé dans une étude INSEAD (2024) qui révèle que le temps consacré aux décisions complexes a augmenté de 32 % en dix ans, tandis que la stabilité des environnements économiques a chuté de 40 %. Cette projection ne traduit pas une simple évolution, mais une reconfiguration profonde des manières de produire, de coopérer et de piloter l’action.

Dans un monde où la capacité à naviguer dans l’incertitude devient une compétence clé, garantir une égalité d’accès aux outils, aux réseaux, à la formation et à la légitimité de décider est une condition sine qua non de transformation collective. 

Aucune société ne peut affronter les mutations à venir en laissant sur le bas-côté une partie de ses forces vives. Autrement dit : l’inclusion n’est pas un supplément d’âme, c’est un levier de résilience. Cela impose de repenser nos modèles de préparation des talents et cela commence par l’éducation : développer la capacité à apprendre dans un monde mouvant, à raisonner sans modèle figé, à coopérer dans la complexité, valoriser les profils capables de poser des questions avant de produire des réponses et intégrer l’échec comme indicateur de prise de risque maîtrisée. Autant de compétences critiques qui restent aujourd’hui inégalement distribuées, socialement comme genrées.

C’est pourquoi préparer la jeunesse à diriger autrement, et démocratiser l’accès aux ressources stratégiques, n’est pas une option, c’est un investissement structurel.  

Ce premier dîner de dirigeantes, au cœur des Rencontres Économiques, a ouvert un espace inédit : un lieu de dialogue entre générations de décideuses, un temps de lucidité partagé sur ce que l’incertitude fait au pouvoir. 

A mesure que les anciennes grilles d’analyse s’effacent, les lieux de décision doivent s’ouvrir, se diversifier, se recomposer. Ce n’est pas une question de représentativité. C’est une exigence stratégique.

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